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TROPIQUE DU CHAT (extrait)

TOUSSAINT LOUVERTURE

 

Il est 17 heures 30, j’attends les pêcheurs sur la bitte d’amarrage, celle à l’extrémité gauche. La perspective est belle, c’est pour cela qu’ils me photographient : moi, le quai des Saintes et à l’horizon, la mer turquoise. La plupart ratent la photo; pensez donc, je suis face au soleil et eux aussi, alors le contre-jour ! Un plot noir, une masse noire posée dessus, deux triangles au sommet : une colonne de Buren aux rayures noires et blanches, rehaussée de deux minuscules pyramidons et c’est tout ! Ceux qui attendent le coucher du soleil ne s’en sortent pas trop mal. Quelquefois, un éclair blanc me lèche la queue et, là, c’est réussi.

 

Quand les pêcheurs arrivent, je ne les intéresse plus, ils photo- graphient les saintoises et sa cohorte de mauves à tête noire qui les accompagne. Cet oiseau au plumage gris ardoise sur le dos, au ventre blanc, à la tête entièrement noire en cette période nuptiale, au bec et aux pattes d’un rouge foncé est la mouette des Antilles. Les bacs en plastique anthracite, orange, bleu ou vert sont déchargés sur le quai en béton, ils regorgent de poissons blancs, jaunes, rouges ou argentés. Il y en a des petits et des gros, des ailés et des armés, des rayés et des à pois, des vivants et des morts, des comestibles et des succulents. La mer Caraïbe est encore généreuse avec ces travailleurs des flots.

 

Je suis descendu de mon piédestal et je me suis posté derrière les cageots multicolores ; j’attends. Trois grands gosiers, aux airs de dodos d’un autre temps et à l’allure pataude et débonnaire, sont restés perchés sur des pieux plantés dans l’eau turquoise à deux encablures de la plage et patientent aussi dans la brise de cette fin de journée. Les pélicans bruns, avec leur bec d’accordéoniste, sont des opportunistes, si une des cagettes venait à sombrer dans les vagues, elle ne serait pas perdue pour tout le monde.

Je regarde le ballet des mains. Soudain, une tête de poisson tournoie dans le doux zéphyr, trois clapets se sont ouverts à l’unisson et six prunelles noires bordées d’azur fixent la proie qui virevolte dans les airs, je la rattrape au vol, deux zié (yeux) de roitalibi me supplient, je n’en ai cure, je le mutile encore un peu plus. Un régal. Un barbarin, ou rouget pour les Z’oreilles, trop petit pour la vente, atterrit entre mes pattes, je lui jette un sort. Puis un bout de nageoire caudale effrangée me passe au-dessus de la tête et tombe dans le sable blond ; un chat malingre a déjà bondi derrière mon dos, je fais volte-face, je feule une seule fois, il recule et ne me quitte pas des yeux pendant que je me lèche les babines. Les trois dodos sur pilotis n’ont pas bougé, ils ne m’ont jamais attaqué, pourtant, devant leurs trois mètres d’en- vergure, je ne ferais pas le poids.

Ce que je préfère, ce sont les pêcheurs à casier avec leur drôle de nasse tressée à la forme biscornue. Ceux-là ramènent le trésor des mers caraïbes : les crabes et les langoustes. Mais ils ne sont guère aimables avec la gent féline. C’est jour de fête quand je trouve une patte délaissée par une bête, car il ne faut pas rêver, jamais à ce jour un seul décapode n’a été lancé dans ma direction par un crabier.

BLANCHETTE

 

Étouffée, écrasée, piétinée, bousculée, je n'arrive plus à respirer. Je suis recouverte d'une couverture poilue, des pieux me rentrent dans les côtes, je recule devant les ruades, submergée par cette multitude féline. Dernière née d’une fratrie de six, je n’arrive que rarement à atteindre la tétine rose qui m'est destinée. Acculée dans un recoin du landau, je regarde mes frères et ma sœur s'abreuver aux mamelles de ma génitrice, avec ma vision toute neuve.

Huit jours que j’étais aveugle, mais comme tous les chatons, je vois enfin le monde qui m’entoure; ça va sûrement m’aider à trouver les tétines dans la cohue. Quelques heures plus tard j'essaie à nouveau de percer cette mêlée compacte, mais sans résultat. Je m'épuise dans ces combats pour la survie. À peine née, je dois déjà me battre pour exister. Apathique, désarmée, affaiblie, je baisse la garde. Je m’éteins loin des mamelles nourricières. Je me blottis au cœur de l'arabesque que ma mère dessine avec le bout de sa queue.

 

Je suis en lévitation, ballottée, désorientée, sans vie. Déposée dans une cavité du fossé, à même le sol, je hume l'herbe verte. L'humidité me revigore, une perle de rosée me tombe sur le museau quand je bouge une oreille. Je pousse mon cri de chaton perdu, seul chant que je connaisse à l'aube de cette nouvelle existence; trop tard, ma mère a disparu dans les fourrés. Comment maman Luth a-t-elle pu m'abandonner au bord de ce chemin vicinal ? Elle m'a cru morte, elle s'est débarrassée de ce fardeau trop encombrant et sans avenir. Je me remets à couiner sans discontinuer, puisant dans les dernières forces qu'il me reste, puis je m’écroule, sans vie, pour la deuxième fois de ma courte existence.

 

 

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Des chats pas comme les autres Aux éditions de l'Opportun

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Mon 2ème roman : ATTILA, le curieux chat voyageur chez City éditions

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"LES FANTASTIQUES AVENTURES DE SURCOUF"
mon 1er roman félin

LIEN VERS LE LIVRE : http://livre.fnac.com/a7889954/Christine-Lacroix-Les-fantastiques-aventures-de-Surcouf-le-Chat

Mon mail : surcouf.galaup@gmail.com

 

 

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