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Chaque chapitre de ce roman se réfère à un titre d'album de TINTIN

 

 

 

 

Le trésor de Goupil le roux

 

 

J’ai toujours été le premier pour tout : pour la nourriture, pour l’exploration, pour la lutte, surtout avec mon frangin, Rayon de Soleil, pugiliste comme moi, frère de sang mais non de cœur, le plus costaud après moi. C’est sur lui que je me suis fait les muscles, les crocs et les griffes, que j’ai appris l’art du combat et amélioré ma tactique de self-défense. Parmi mes deux sœurs et mes trois frères, ma préférence allait à Blanchette. J’en parle au passé car elle est morte. Elle était toute blanche comme moi, mais jusqu’à la fin de sa trop brève existence, deux semaines tout au plus. Elle est restée immaculée car contrairement à moi et à Rayon de Soleil, elle évitait les pitreries et elle ne tomba jamais dans les sacs de coke. Elle avait mal débuté dans la vie, dernière née, fragile, toute menue avec des gènes albinos, elle restait sourde à nos piaillements. Elle ne réussit jamais à se faire une place au soleil.

Je ne suis pas le seul à avoir fait le grand plongeon dans le tas de charbon. Un jour le rouquin s’y  essaya aussi, mais si ma mère a ignoré ma bévue, lui ne s’en est pas tiré à si bon compte. Je vis maman Luth le prendre dans sa gueule tout gémissant, tout gesticulant, tout luisant et l’obliger à subir le supplice de la douche à l’eau du ciel. Piteux, dégoulinant, penaud, il rentra au cabanon quelques minutes plus tard, mais il avait retrouvé sa couleur d’origine; contrairement à moi que ma mère oublia d’emmener aux bains douches. Maintenant il est trop tard, la teinture est prise et séchée, je suis Black et resterai Black et je porte malheur. Tous les ailurophobes vous le diront, un chat noir vous passe entre les jambes et vous en prenez pour 7 ans…7 ans de malheur. Par chance il n’y a plus guère de chaudron dans les ménages modernes et puis ces vieilles superstitions sont d’un autre temps. Quoique !

Le problème avec une sœur et trois frères et un seul abri au fond du jardin, c’est de se faire une place à l’ombre. Le rouquin pour une fois fut le premier à repérer un tas de chiffons odoriférants dans un coin tranquille de notre nursery. J’essayai bien de le déloger à coup de crocs et de griffes mais il refusa de me céder la place. Je tourne en rond, furetant comme mes frangins à la recherche de la planque brevetée « idéale félins », le museau en l’air, les vibrisses à ras de sol, le regard scrutateur, aucun endroit ne me semble digne d’intérêt; puis comme une évidence je vois le landau déserté, mais toujours positionné là, à cette même place, le frein de stationnement mis; je réitère mon exploit mais dans l’autre sens, comme un film que l’on passerait à l’envers. Je saute en l’air et atterris au milieu d’une couverture ajourée pour cause d’âge canonique, sentant peut-être un peu trop les effluves d’urine, car ma mère ayant eu beau nettoyer notre couche de son mieux pendant notre prime enfance, les chatons ne sont pas très bien éduqués au début de leur vie et font leurs besoins à même leur lit. Mais aucun endroit n’est plus accueillant. Je vois les regards d’envie se fixer sur moi, je ferme mes paupières, satisfait et rassuré, on ne risque pas de me déloger, si mes frangins n’ont pas réussi à en descendre, ils n’arriveront pas à y remonter. Bon je me suis trompé, Noirpiaux atterrit sur ma tête, un seul regard émeraude suffit à le faire déguerpir.

Vint un soir où notre mère nous promit notre première sortie. Le club des cinq, bien discipliné, tout au moins au début, s’égaille rapidement dans la nature, plus de rivalités, plus de chamailleries, chacun part vers des occupations différentes, à part Arc en Ciel qui met ses empreintes dans les traces de notre mère. Faut dire que c’est le clone parfait de notre génitrice, en tout point semblable, avec un pelage écaille de tortue et des yeux aigue-marine. Tigre chasse les lépidoptères, Noirpiaux joue les funambules sur un muret, Rayon de Soleil se bat avec un rosier et moi je retourne les plates-bandes;  puis maman Luth nous dirige vers la gamelle de notre voisin le chien. Nous donnons tous à manger aux vers de terre; ce soir, nous tèterons encore. Nous nous éparpillons de nouveau pour papillonner avant de rentrer dans notre cabanon.

Les nuits de pluie nous ne sortons pas, nous regardons à tour de rôle sous la porte de notre remise; il y avait la place pour passer une seule frimousse de chaton mais dès qu’une goutte tombait sur un museau, c’était la débandade et un autre prenait sa place. Moi non plus je n’aime pas être mouillé. Nous détestons être privés de sortie, alors tous les coups sont permis pour tromper l’ennui. Je joue avec la queue de ma mère, m’agriffant à elle, la mordillant de mes crocs ressemblant déjà à de petits sabres, la tirant de toutes mes forces jusqu’à ce que ma génitrice me remette à ma place d’un soufflet sur le nez. Alors je joue avec la mienne, tournant en rond comme une toupie à toute vitesse pour l’attraper, ne réussissant pas à tous les coups car ma queue est bien petite et bien difficile à crocheter.

J’escalade les poutres me retrouvant souvent nez à nez avec un autre équilibriste, comme il n’y a pas la place pour huit pattes, le plus faible doit sauter à terre pour laisser le champ libre à l’adversaire. Je ne cède jamais la priorité. Une fois je bondis d’une traverse à une étagère couverte de pots bariolés, la planche s’écroule sous mon poids, trois couvercles s’ouvrent et le contenu se déverse sur le sol de terre battue. Je patouille dans la mélasse, mes pattes prennent une teinte turquoise. Je devais mettre des semaines avant de retrouver mes coussinets bruns; le lavage à sec n’étant pas très efficace pour ce genre de tâche.

Ce que je préfère ce sont les chamailleries. Nous faisons des cavalcades qui finissent en pugilat. Je choisis un frère, je le poursuis à travers la cabane, renversant ici ou là un sac de terreau, un râteau, une bûche, sauf les sacs de charbon, je deviens méfiant, jusqu’à ce que je l’accule dans un coin. La séance d’intimidation commence, feulements, gros dos, retroussages des babines, puis je l’immobilise, mes crocs plantés dans son cou je serre doucement; il me bat les flancs avec les pattes arrières, sans les griffes au début, puis je serre plus fort, alors il sort les armes, les feulements deviennent des gémissements, puis des cris, puis des hurlements et c’est à ce moment que notre mère vient nous séparer. Je recommence alors avec un autre frère.

 

Maman est partie se faire conter fleurette dans une grange voisine. Un mâle couleur foin lui tourne autour depuis plusieurs jours, il a même essayé de pénétrer dans notre abri mais là il s’est fait recevoir. Il fait jour et je n’ai pas sommeil. Je rampe sous la porte, le corps moitié à l’ombre, moitié bronzant. Je scrute la pelouse inondée de soleil. Je me retourne, Tigre m’observe, visiblement mortifié par mon audace, je disparais à sa vue. C’est la première fois que je m’aventure dehors en plein jour, maman Luth n’autorise que les sorties nocturnes. Je m’adonne à la chasse aux papillons, beaucoup plus vifs que la nuit; il paraît que ce ne sont pas les mêmes, moi je ne vois pas la différence, au goût un lépidoptère vaut un autre lépidoptère. D’une aile à une antenne, d’un buisson à un bosquet, d’un rosier à un pissenlit, me voilà en vue de la grande bâtisse.

Je grimpe quatre à quatre les marches, arrivé sur le perron je cherche des yeux la gamelle de Belzébuth, elle est à sa place habituelle, mais vide. Une touffe noire se terre dans la niche. Aïe ! Je ne l’avais pas vu. Ouf ! Des mèches lui recouvrent les yeux l’empêchant de me localiser; il secoue la tête, deux billes d’acier me fusillent du regard. Horreur ! Il voit parfaitement à travers sa frange, ses babines se retroussent. Je cours à perdre haleine, il a beau être black comme moi, je ne crois pas que l’on puisse s’entendre. J’arrive haletant à la cabane, je surfe littéralement pour me glisser sous la porte, Tigre me regarde d’un air stupéfait et désapprobateur. La morale de cette histoire est qu’il faut toujours écouter sa mère. Belzébuth a reposé sa tête sur ses pattes, il n’a même pas daigné bouger, l’heure de la sieste est sacrée.

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Published by CHRISTINE LACROIX - dans LITTERATURE

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LIENS VERS MES ROMANS FELINS

 

Des chats pas comme les autres Aux éditions de l'Opportun

 https://www.amazon.fr/chats-pas-comme-autres-extraordinaires/dp/2380157871/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=39JKE41TCCXLM&keywords=des+chats+pas+comme+les+autres&qid=1689497897&s=books&sprefix=des+chats+pas+comme+les+autres%2Cstripbooks%2C79&sr=1-1

 

 

Mon 2ème roman : ATTILA, le curieux chat voyageur chez City éditions

nouvelle version avec une préface de Brigitte Bulard-Cordeau

 

Les fantastiques aventures de Surcouf chez City éditions

 

 

 

 

 

LES FANTASTIQUES AVENTURES DE SURCOUF

"LES FANTASTIQUES AVENTURES DE SURCOUF"
mon 1er roman félin

LIEN VERS LE LIVRE : http://livre.fnac.com/a7889954/Christine-Lacroix-Les-fantastiques-aventures-de-Surcouf-le-Chat

Mon mail : surcouf.galaup@gmail.com

 

 

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