L'EXPO FELINE (extrait)
Les portes vomirent les voyeurs. Une foule compacte défila devant nos cages. Des petits, des grands, des costauds, des maigres, des roses, des jaunes, des noirs. Certains se penchaient pour nous fixer au fond de nos iris, d’autres, promenant leur index sur les barreaux, les faisaient vibrer comme les cordes d’une harpe, des doigts s’immisçaient par les ouvertures. Deux hommes stoppèrent devant ma cellule et papotèrent bruyamment pendant un quart d’heure. Une petite main potelée me tira la queue et des langues baveuses léchèrent les tiges métalliques de ma prison, comme elles auraient sucé des sucres d’orge. Des enfants m’enfonçaient des bâtons de crème glacée, heureusement terminée, dans les côtes, ils m’agitaient des serviettes en papier devant les yeux pour me faire réagir. Je reçus même en offrande des pop-corn enrobés de caramel collant, que je regardais s’amonceler dans ma litière et qui se mélangèrent aux graviers, quand je me mis à terrasser.
L’incident de la journée, qui devait décider de mon sort, se produisit après une heure trente de parade humaine ininterrompue. Une jeune femme, un nourrisson sur le ventre, attaché comme le candidat à un saut tandem en parachute, se présenta devant ma cellule. C’était la cent cinquantième à me dévisager avec insistance, sans tenir compte des règles de bienséance félines, qui consistent à ne jamais fixer un chat dans le blanc de ses yeux, sans s’être fait connaître avant, en présentant ses doigts à renifler, pour que celui-ci s’imprègne des émanations de la personne, et qu’il accepte le regard direct et le contact physique.
Le bébé gigotait des petons, imprimant des secousses à ma cage. L’un de ses pieds, minuscules, transperça ma ligne de défense grillagée et s’agita sous mon nez. Je lui happai la socquette. Il retira son pied dénudé et se mit à glousser. La mère nous en fit tout un scandale. Elle hurla sur la place publique que sa fille avait été dévorée par un monstre sanguinaire. Je laissai tomber la chaussette dans ma litière. Katia entra sa main dans l’antre du fauve, à ses risques et périls, pour récupérer l’objet du délit.
- Tenez, le voilà votre chausson ! Il n’a même pas un accroc. Et arrêtez de brailler comme cela, il n’a rien votre bébé, alors, allez voir plus loin !
Katia était rouge de colère, elle décrocha la pièce argentée suspendue par un ruban de soie rouge, que je giflais de temps à autre pour m’amuser. Je la vis se diriger à grands pas nerveux vers le comité de l’exposition féline.
- Bon, le cirque a assez duré, je vous rends votre médaille et je reprends mon chat. Il en a marre de faire le singe !
Et c’est comme cela que je fus libéré de ma geôle quatre heures avant mes congénères.
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