Extrait d’Attila, le curieux chat voyageur de CHRISTINE LACROIX chez City éditions.
Ce matin, j’observe une petite fille au museau noir et à la robe en lambeaux, elle tient dans ses bras un lapereau. Je n’ai pas mangé depuis trente six heures et je m’en contenterais comme en-cas. J’attends en vain qu’elle le pose à terre, mais elle le presse sur son cœur comme un objet précieux. Elle ne me donnera jamais l’occasion de me boucher une dent creuse. Je reprends ma route, tournant le dos à ce dénuement. L’odeur est soutenue, j’entends clapir, glousser, caqueter, cancaner. Je m’approche tel le goupil sournois, silencieusement à ras de terre. Trois clapiers à lapin sont installés sur des moellons, huit cages à poule sont disposées à côté, formant un véritable poulailler, quatre sont vides, une contient un pigeon sans visa, deux autres abritent une poule et ses poussins et la huitième héberge un coq. Je perçois une présence derrière moi, un canard noir panaché de blanc, de belle prestance, me fixe de son œil maquillé de rouge. Il se dandine d’une palme sur l’autre, puis s’éloigne. Je choisi un lapereau tout famélique et qui semble s’ennuyer au fond de son clapier. Je crochète la serrure, tordant le fil de fer qui le retient prisonnier, j’écarte le montant de la porte et libère le captif de sa geôle rouillée. Il ne s’ennuiera plus; les autres occupants n’ont pas bronché. L’estomac bien tendu par ce copieux souper, je me remets en route pour une promenade digestive. Je cherche à boire. C’est le plus gros problème du chat errant; pour la nourriture, nous arrivons toujours à nous débrouiller, mais se transformer en vampire la nuit et boire le sang de nos victimes ne suffit pas à étancher notre soif et nous sommes souvent à la recherche des trous d’eau de pluie.