Mon stand chat-chat-chat au salon du livre de Fismes (Marne).
Extrait de TROPIQUE DU CHAT lien:
Il est seize heures, les touristes et les minibus ont déserté le coin. La plupart n’ont même pas remarqué le Bois Savonnette, un arbre de dix mètres de haut, planté spécifiquement au Fort à l’époque de Napoléon pour faire face au manque de savon, et dont les graines servaient à laver les uniformes. Un Antillais, muni des clefs du domaine, ferme l’enceinte. Il dépose une cuvette rouge remplie d’une mixture blanche, une « touffée » de riz et de poissons. Les quatre félins du fort, frappés d’addiction pour cette pitance de chaque soir, prennent place autour de la gamelle, un à chacun des points cardinaux. Je mets à mal ce bel ordonnancement, un cinquième museau s’immisce dans le cercle. Personne ne bronche, je suis taillé deux fois comme eux.
L’obscurité est littéralement tombée du ciel. Le terme convient sous les tropiques, car il n'y a aucune transition entre la nuit et le jour, pas de crépuscule des Dieux ici, à dix huit heures l'astre solaire laisse la place à l'astre nocturne, puis à six heures du matin le soleil a rendez-vous avec la lune pour la reprendre. Rien de plus simple, pas besoin de montre, aucun changement d'heure tous les six mois et donc pas de modifications désagréables à redouter dans nos habitudes, car tout félin caribéen que je suis, je tiens à mon petit confort. La pitance servit avec une heure de retard ou soixante minutes d'avance est une coutume qui nous est étrangère. Rien de tel ne peut arriver sous les Alizés. Aux Antilles, le monde ne se complique pas la vie. Douze heures de jour, douze heures de nuit et deux saisons : une sèche et chaude, ma préférée et une humide et chaude plus problématique avec vent de Noël, tempête tropicale, cyclone, trombes d'eau, averses, pluie, ondées, déluge, crachin (vous l’aurez compris, je n'aime pas la pluie qui colle les poils aux pattes). Enfin la saison mouillée est surtout pour ceux du continent vert de l'autre côté de la mer, sur la grande île, car sur mon îlot paradisiaque, il ne pleut presque jamais, nous jouissons d'un microclimat au-dessus de nos oreilles. Alors que les Petites Antilles sont arrosées régulièrement toutes les nuits, il arrive souvent que les Saintes ou la Désirade soient les seules épargnées par les gouttes. Quand l’île papillon se fait mouiller les ailes, moi je reste les coussinets bien au sec. Je n’ai jamais compris pourquoi il ne s'envole pas pour rejoindre notre îlot de sécheresse. Il préfère rester là, une aile déployée sur l’Océan Atlantique et l’autre sur la Mer des Caraïbes.
Je mets la nuit à redescendre la route asphaltée et à retrouver la civilisation : le village de Terre-de-Haut et mon quartier de Fond-Curé, l’animation de son port, de ses bistrots et de ses boutiques. C’est décidé, je ne voyagerai plus jamais. Les voyages organisés ne sont pas fait pour moi, l’avenir devait me donner tort.