Un texte certes triste, mais d’une si grande exactitude :
« Au moment où je terminais Un ciel radieux, au début de l’hiver, notre chatte est morte. Bien sûr, on ne possède pas un animal domestique sans savoir qu’il mourra un jour. On croit savoir à quoi s’attendre, et pourtant, quand cela arrive, on se trouve bouleversé plus qu’on ne l’aurait cru.
Il y a quinze ans déjà, pendant l’hiver 1990, la mort de notre premier chien m’avait tellement éprouvé que je m’étais juré ne plus jamais avoir d’animal. Puis je me suis trouvé presque forcé d’accepter une chatte. Un chat Persan dont personne ne voulait. Moi qui ne connaissais que le chat japonais, à poil court, cet animal à la tête étrange et aux longs poils me surprit au premier abord. Pour moi, c’était plus une sorte de chien à museau écrasé qu’un chat. Je l’appelai Boro (en loques), ce qui allait bien avec sa couleur et son apparence. Elle avait environ un an quand on nous l’avait donnée et nous vécûmes ensembles les quinze années qui suivirent. (Cette histoire à été mise en bande dessinée dans Terre de rêves).
Boro était d’un naturel lent. Elle n’avait pas du tout l’agilité féline que j’attendais à trouver chez un chat. Mais avec ses mouvements drôles et amusants, elle avait un don, même sans rien faire de particulier, d’apporter la sérénité autour d’elle par sa seule présence. Quand je rentrais chez moi après une journée de travail, j’étais sûr de toujours la trouver à m’attendre.
Avec un tel animal à mes côtés, j’étais heureux. Je croyais que cela allait durer indéfiniment. Je ne pensais pas que cette présence pouvait m’être enlevée. Je ne voulais pas y penser.
Mais les animaux, comme les hommes, perdent leur mobilité en prenant de l’âge. Un jour, Boro finit par perdre entièrement l’usage de ses pattes de derrière. Elle continuait cependant à marcher grâce au seul usage de ses pattes avant. Ma femme et moi lui faisions des massages journaliers sur ses pattes malades, mais sans résultat.
Puis une dizaine de jours plus tard, elle fut prise de spasmes et ne put plus bouger. De sa couche, elle continuait pourtant à réclamer ses repas, avant de perdre complètement l’appétit et de tomber dans le coma.
Nous espérions toutefois son rétablissement. Nous voulions qu’elle vive, même sous cette forme amoindrie. Le vétérinaire venait la voir tous les jours, mais sa vie arrivait à son terme et elle mourut.
Ce n’était pas la première fois que j’assistais à la mort, la mort d’êtres humains aussi bien que la mort d’animaux. Et pourtant, même devant la mort au terme d’une vie longue et bien remplie, c’est toujours le même scandale, avec la tristesse pour seule réaction.
Encore maintenant, perdre tout à coup un être qui a vécu près de soi, c’est un grand trou qui s’ouvre. Mais on ne peut pas vivre non plus avec cette béance dans le cœur en permanence. » (Jirô TANIGUCHI)